Charge épiscopale, Synode diocésain 2019

Mgr Bruce Myers OGS — 21 Novembre 2019, le Monastère des Augustines, Québec

Depuis que j’ai été appelé à servir en tant que votre évêque ( il y aura quatre ans la semaine prochaine!) la prière ci-dessous est devenue en quelque sorte mon « mantra »:  

Ô Dieu, tu as appelé tes serviteurs dans des périples dont nous ne voyons pas la fin, par des sentiers encore inexplorés, aux périls inconnus. Donne-nous la foi d’y aller vaillamment, sans savoir où nous allons, mais sachant que ta main nous guide et que ton amour nous soutient, par Jésus Christ notre Seigneur. Amen. 

L’une des raisons pour lesquelles j’aime cette prière est qu’elle est réaliste mais réconfortante, honnête mais pleine d’espoir. Elle ne nie pas les dures vérités, mais elle ne succombe pas non plus au pessimisme stérile. Elle a été écrite pendant la première partie du XXème siècle par un prêtre de l'Église d'Angleterre, Eric Milner-White, qui fut notamment un des fondateurs de la communauté religieuse à laquelle j'appartiens, l'Oratoire du Bon Pasteur. Comme beaucoup de bonnes prières qui viennent d'une autre époque et d'un autre endroit, elle semble avoir été écrite sur mesure pour nous, ici et maintenant. 

Cette prière commence par reconnaître que nous avons été appelés « à des périples dont nous ne voyons pas la fin ». Cependant, vous avez peut-être lu récemment des statistiques qui portent à croire que nous pouvons effectivement entrevoir la fin de l’entreprise qu’est l’Église anglicane du Canada. Des données récentes révèlent que notre confession nationale a perdu 50 % de ses membres au cours des 25 dernières années. Si cette tendance se maintient, il est prévu qu’il n’y aura plus d’anglicans au Canada en 2040. 

Je ne sais pas où vous serez dans 20 ans, mais — si Dieu le veut bien — je serai toujours dans les parages et je serai toujours un anglican; il en restera donc au moins un! Je soupçonne qu'il y en aura d'autres aussi. En fait, une réplique faite récemment à cette projection statistique a été la déclaration publique d’un certain nombre de jeunes anglicans canadiens : « Je ne m’en vais pas! » (« I’m not going anywhere! »). Et comme l'un de mes collègues évêques l'a si bien écrit la semaine dernière à propos de ces tristes statistiques, « L'église chrétienne a toujours été à une génération de l'extinction; notre situation n'est donc pas exceptionnelle. » 

La diminution de notre envergure en tant qu’église ne surprendra personne dans cette assemblée. Nous la constatons déjà chaque dimanche lorsque nous nous réunissons en congrégations dans ce vaste diocèse ou lorsque nous passons devant des églises désacralisées ayant jadis abrité des communautés anglicanes florissantes. En fait, nos rangs sont en baisse constante depuis le début des années soixante. C’est à cette époque que l’appartenance à l’Église anglicane du Canada et à un certain nombre d’autres confessions chrétiennes de ce pays a atteint son apogée - il y a près de 60 ans. 

Le diocèse de Québec ressent plus fortement les effets de cette décroissance car nous sommes une église historiquement anglophone située sur un territoire majoritairement francophone (et historiquement catholique), souvent au sein de communautés plus âgées du point de vue démographique, et nous nous trouvons dans une région du monde qui a connu et connaît encore un détachement généralisé particulièrement intense des pratiques religieuses de toutes sortes. Nous sommes donc peu nombreux et nous allons probablement le devenir encore plus. Mais nous savons que nous ne sommes pas seuls et, en tout cas, que ce n’est pas la fin de notre histoire. 

Une des premières choses que j’ai faites en installant mon bureau à Church House il y a quelques années a été d’afficher au mur une grande carte du diocèse de Québec, qui a une superficie de 720 000 kilomètres carrés. Et sur cette carte, j’ai placé une petite épingle de couleur pour chacune des congrégations du diocèse - toutes les 68. 

Après avoir mis les dernières épingles, j'ai pris du recul et j'ai regardé la carte avec un mélange d'étonnement et de panique: étonnement de constater comment le christianisme anglican s'était répandu pendant plus de deux siècles dans un territoire aussi vaste et aussi varié, et panique en me demandant comment est-ce que j'allais bien pouvoir aider ces communautés dispersées, toutes de taille plus que modeste. Nos propres statistiques nous disent que seulement un peu plus de 3 000 anglicans appartiennent à l’une des congrégations de notre diocèse et qu’environ 800 d’entre nous vont à l’église le dimanche. 

L'autre chose que j'ai constatée en regardant la carte, c'est que la couleur que j'avais inconsciemment choisie pour les épingles marquant les congrégations était le jaune, et j'ai tout de suite pensé que ça ressemblait à un essaim de graines de moutarde dispersées. 

Dans les évangiles, Jésus appelle les graines de moutarde , le sénevé, « la plus petite de toutes les semences ». Mais il dit aussi qu'une fois semées, elles ont le potentiel de devenir quelque chose de grand et de bon. Et une foi de la taille d'une graine de moutarde, dit Jésus, peut déplacer des montagnes. 

Et j'ai rencontré plusieurs excellents exemples de cette affirmation au cours de mes voyages à travers l’ensemble de notre diocèse au cours des dernières années : des communautés petites mais croyantes, des efforts modestes mais dévoués que chacun et chacune à sa manière ont offerts et qui ont été bénis par Dieu, et qui révèlent une partie du royaume de Dieu ici parmi nous. Comme l'a récemment déclaré un autre confrère: « L'église ne laisse pas sa faible fréquentation l'empêcher d'être un phare pour la communauté et un lieu vers lequel les gens se tourneront pour obtenir soutien et encouragement ». 

Je ne vais pas donner d’exemples précis maintenant, car au cours des deux prochains jours, nous entendrons le récit de quelques épisodes de soutien et d’encouragement vécus par des membres de notre famille diocésaine. Nous entendrons également un certain nombre d'invités spéciaux parler de certains de ces grains de sénevé qu'ils ont rencontrés dans les secteurs de l'église où qu'ils œuvrent. 

Nous voulons bien sûr que nos grains de sénevé se développent, mais la croissance, ce n'est pas seulement l'augmentation de l'assistance. Dans un passage de l'évangile de Luc, les disciples supplient Jésus, « d'augmenter notre foi! ». Ils ne lui demandent pas: « Augmente l'assistance! » Ou « Augmente nos dividendes! » - aussi bénéfiques qu'auraient pu être ces souhaits. Parce que de meilleurs chiffres, qu’ils figurent dans la colonne « Communiants » de nos livres de sacristie ou du côté « positif » de nos bilans paroissiaux, n’ont vraiment de sens que si nous sommes également en croissance dans nos vies de disciples chrétiens. 

C’est là quelque chose d’autre que j’ai régulièrement rencontré lors de mes visites auprès des anglicans de notre diocèse: un désir exprimé par plusieurs, à peu près partout, de mieux comprendre la foi chrétienne qu’ils professent, de croître spirituellement et de témoigner concrètement de leur foi en Jésus-Christ, tant individuellement comme chrétiens qu'en tant que congrégations. 

En tant que chrétiens, nous affirmons être un peuple qui, bien que vivant dans le monde, « n'appartient pas au monde ». Comme nous nous le rappellerons dimanche, fête du Christ-Roi, notre allégeance première n'est pas envers une couronne, un pays, une tribu, un parti politique, la famille ou même l'église. Notre loyauté primordiale est envers Dieu tel que révélé en Jésus-Christ et envers le royaume céleste que son incarnation a instauré et que nous, ses disciples d'aujourd'hui, avons la mission de révéler sur la terre. 

Afin de réaliser cette proposition, cette mission, radicales et à contre-culture, nous devons nécessairement nous comporter différemment de la culture dominante - « le monde » - que nous habitons. Et l’un des rôles de l’église est justement d'aider les chrétiens à faire cela, ainsi que le dit le théologien Stanley Hauerwas en décrivant l'église comme une institution « appelant les gens à être une alternative au monde », afin que nous puissions devenir « un peuple différent avec des habitudes et des pratiques différentes de celles du monde. » 

Ce qui est censé nous distinguer en tant que disciples de Jésus-Christ, ce ne sont pas nos édifices, nos rituels ou même nos doctrines. Ce qui est censé nous distinguer en tant que disciples de Jésus-Christ, c’est que nous faisons les choses différemment, selon une éthique différente: que ce soit la façon dont nous traitons les gens, notre manière de prendre des décisions, de gérer notre argent, de respecter l’environnement. Comme l’a dit Hauerwas, « l’église n’a pas pour objectif premier de favoriser une plus grande fréquentation; il s’agit d’être un peuple vivant dans un environnement hostile capable de soutenir le témoignage de Jésus de Nazareth, qui nous a proposé un mode de vie que nous savons être exaltant. » 

C'est pourquoi le premier terme utilisé dans le Nouveau Testament pour décrire les chrétiens est celui de « d'adeptes de la Voie ». Parce que, ainsi que le disait un moine anglican, le frère Geoffrey Tristram, « le christianisme n'a jamais été un corps de doctrine statique, mais plutôt un mode de vie dynamique. » C’est là que se trouve la signification du développement de notre discipline chrétienne: s'outiller pour vivre et annoncer plus efficacement l’Évangile de Jésus-Christ dans notre vie quotidienne et pour servir d’ambassadeurs et d'ambassadrices du Christ partout, en tout temps avec auprès de tout le monde. 

Pour notre église diocésaine, la tâche de former et d’équiper les disciples est, selon les mots de ma prière inaugurale, l’un de ces « sentiers encore inexplorés » - ou du moins c’est un sentier qui n’a pas été foulé beaucoup depuis quelque temps. Au fil des ans, nous avons collectivement consacré une grande partie de notre temps et de notre énergie à la gestion de la décroissance. Et même si nous devons continuer à être de bons intendants des bâtiments, des cimetières et des investissements qui nous ont été confiés - et à aider les congrégations qui souhaitent rester ouvertes et actives à le faire aussi longtemps qu'elles le pourront - nous devons également nous rappeler que survivre comme nous le faisons maintenant ne suffit pas. Dieu nous appelle à faire beaucoup plus. Nous devons nous rappeler que la tâche principale de l’église consiste à former et à équiper les disciples de Jésus-Christ pour qu’ils et elles contribuent au travail rédempteur de Dieu dans le monde. 

Et c’est un moment opportun pour nous en souvenir, car non seulement comptons nous déjà plusieurs personnes au sein de notre diocèse qui désirent être mieux équipées en tant que disciples de Jésus, mais les moyens de contribuer à les outiller sont à portée de main. Nous comptons déjà de formidables enseignants de la foi parmi les membres de notre clergé et de notre laïcat. Nous sommes en train de développer de nouveaux partenariats avec des centres de formation chrétienne ici au Québec et ailleurs. Même la technologie de communication requise (comme l’accès Internet haute vitesse) est maintenant disponible pour presque tous les anglicans du diocèse, quel que soit leur lieu de résidence. Nous avons déjà tout ce dont nous avons besoin pour que nos grains de sénevé se développent. 

Une partie de ce travail d'apostolat est déjà amorcée et mon souhait est ce travail ira grandissant dans les années à venir. Ce faisant, il est possible que nous constations que le fait d’être soucieux de notre croissance spirituelle peut également avoir un impact positif sur la croissance de la fréquentation, car de nouveaux fidèles pourraient être attirés par notre amour pour les uns et pour les autres, qui se veut refléter celui du Christ, et pour le monde qui nous entoure, car ce sont là les fruits de l'apostolat chrétien.

Notre rassemblement des prochains jours est, lui aussi, un autre sentier « encore inexploré ». Notre synode diocésain s'est réuni pour la dernière fois en 2015, date à laquelle il a été décidé d'apporter des modifications importantes à sa taille et à sa composition. Ce Synode regroupe donc environ moitié moins de personnes que le dernier; la représentation des laïcs est basée sur les doyennés et les régions, plutôt que sur les congrégations; et un nombre restreint des membres du clergé diocésain (10 au total) sont membres du Synode, plutôt que la totalité des membres actifs. Il s'agit, pour nous tous, d'une nouvelle façon de nous rencontrer. Nous solliciterons votre avis sur ce qui, selon vous, fonctionne bien - et ce qui fonctionne moins bien - et sur ce qui pourrait nécessiter des changements dans le futur. 

Ce Synode est également un peu différent en ce qu’il est relativement peu chargé sur le plan de la législation. Les canons et la constitution sont importants pour baliser notre vie commune en tant qu'église diocésaine, mais il en va de même pour la prière, l'étude de la Bible, la fraternité, ainsi que pour l'encouragement et la croissance mutuels - j'espère que c'est ainsi que nous profiterons du temps que nous passerons ensemble dans ce lieu: un espace consacré depuis quatre siècles à la prière, à l'étude de la Bible et à la fraternité chrétienne. 

Il y quatre ans, dans le processus du choix d’un nouvel évêque pour ce diocèse, les candidats avaient à décrire le type de leadership que nous avions l'intention d'apporter au diocèse (dans un maximum de 500 mots!). J'ai alors écrit (en partie) ce qui suit: « Je chercherais à offrir un leadership principalement défini par l'espoir. Notre église traverse des temps difficiles et, au milieu de ces difficultés, il est facile de succomber à ce que le pape François appelle « le pessimisme stérile » ou « le mauvais esprit du défaitisme ». Pourtant, en tant que chrétiens, nous sommes appelés à être un peuple d'espoir - l'espoir « sûr et certain », avéré et indubitable, de la résurrection du Christ et de la rédemption de toutes les choses, incluant l'église. » 

Au cours des quatre années écoulées depuis que j’ai écrit ces mots, j’avoue que le pessimisme et le défaitisme contre lesquels le pape François nous a mis en garde ont parfois été de réelles tentations, mais ces moments ont toujours été fugaces. Ils ont toujours cédé la place à l’espoir. 

Et j’ai vu de mes yeux de nombreux signes d’espoir au cours de ces premières années de service en tant que votre évêque, non seulement dans des projets et des initiatives, mais également parmi nos gens: 

  • au sein des membres fidèles et dévoués du clergé de ce diocèse;
  • au sein du personnel et des officiers diligents et engagés du Synode;
  • parmi les leaders laïcs de ce diocèse, qu’ils et elles œuvrent en tant que lecteurs, marguilliers, secrétaires, trésoriers, membres du Synode, membres des conseils exécutif ou de doyenné, musiciens, servants de messe, animateurs de l’école du dimanche ou de groupes de jeunes, dans les ligues féminines ou de maintien de matériel d'autel;
  • chez les personnes dévouées qui n’occupent aucune charge ou fonction particulière, mais qui forment la colonne vertébrale fidèle, semaine après semaine, représentant le corps du Christ dans ce diocèse.

Vous êtes non seulement des témoignages vivants d'espoir, mais je vous dois aussi mes sincères remerciements pour tout ce que vous faites, et c'est un privilège que de vous servir et de servir avec vous. 

Il semble opportun, dans ce lieu sacré particulier où nous sommes réunis ce soir, de citer une fois de plus l'évêque de Rome, car le pape François passe beaucoup de temps à parler d'espoir. L'espoir chrétien, dit-il, « n'a pas peur de voir la réalité telle qu'elle est et d'en accepter les contradictions. [...] Cet espoir nous invite à entrer dans les ténèbres d’un avenir incertain et à nous diriger vers la lumière. » L’espoir chrétien n’est pas un vague souhait optimiste que les choses se passent bien. « L’espérance chrétienne, dit le pape François, est l’attente d'une chose qui a déjà été réalisée ». 

Ce qui a été réalisé, c’est la victoire du Christ sur les puissances du mal - y compris même la mort - à travers la vie, la mort, la résurrection et l’ascension de Jésus. Ce qui a été réalisé est la promesse du Christ que même les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre son église. Cela n’est-il pas libérateur? Nous nous soucions bien sûr de l’avenir de l’Église, mais nous n’avons pas à nous sentir coupables ou inquiets pour son avenir, car dans le Christ, l’avenir de l’Église - en fait, l’avenir de toute la création - a déjà été assuré de manière ultime. 

Cela nous permet de nous libérer afin de canaliser notre énergie et nos ressources à tenter de rester fidèles à la mission de l’église, qui aide à rendre tangible l’avenir de Dieu. Que l’église que nous connaissons survive encore 20 ans ou 20 siècles importe peu, car notre espoir chrétien et notre appel chrétien ne changeront pas. 

Ensemble, nous avons été appelés à un « périple (venture) dont nous ne voyons pas la fin ». Une définition du terme anglais « venture » dans le dictionnaire est « un voyage, ou une entreprise, risqué ou audacieux ». Ainsi, plutôt que d'être prudents, quels risques pouvons-nous prendre pour l'amour du Christ? Plutôt que de nous épuiser en essayant de perpétuer une manière d’être l’église qui ne correspond plus à notre réalité, quels nouveaux et audacieux voyages pouvons-nous entreprendre pour le bien du monde? 

Si vous ajoutez deux lettres à « venture » (périple), vous obtenez « adventure » (aventure) et c’est ainsi que le christianisme a parfois été décrit: comme une aventure. Une aventure se définit comme « une expérience ou une activité inhabituelle et excitante, généralement hasardeuse ». Quelle expérience ou activité pourrait être plus inhabituelle, excitante ou potentiellement hasardeuse que de développer et d'équiper des disciples de Jésus-Christ pour qu'ils et elles soient ses témoins, qu'ils et elles représentent la Bonne Nouvelle , révèlent le royaume de paix, de justice et de réconciliation de Dieu aux quatre coins du diocèse où nous sommes toujours présents? 

Il ne m’est pas possible d’entrevoir la fin du périple (venture) ou de l’aventure (adventure) auquel Dieu nous appelle. Je ne connais pas le chemin que nous devrons emprunter ni comment nous allons faire face à de nombreux périls encore inconnus. Mais j’ai la foi - une foi si forte que même si je ne sais pas, je n’ai pas besoin de savoir, car il y a quelqu'un dont la main nous guide et dont l’amour nous soutient, alors que nous voyageons ensemble à travers l’inconnu remplis d'un espoir « sûr et certain », avéré et indubitable.


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