Lettre ouverte au Premier ministre du Québec concernant le projet de loi 21

L’honorable François Legault
Premier ministre du Québec
Édifice Honoré-Mercier, 3e étage
835, boul. René-Lévesque Est
Québec, QC  G1A 1B4

Monsieur le Premier Ministre,

En tant que représentants de l’Église anglicane, présente et active au Québec depuis plus de 250 ans, nous nous sentons obligés de répondre à votre lettre ouverte, publiée dans plusieurs quotidiens du Québec, lundi, le 1er avril 2019.

Nous partageons votre conviction que « dans une société dite laïque, ce que nous sommes depuis la Révolution tranquille, le gros bon sens veut que la religion n’interfère pas dans les affaires de l’État. Et l’inverse non plus. » Nous partageons également votre observation selon laquelle « La laïcité respecte la liberté de conscience et de religion. Chaque personne est libre de pratiquer la religion de son choix, ou encore de n’en pratiquer aucune. »

Cependant, au lieu de maintenir un état neutre sur le plan religieux, le projet de loi 21, Loi sur la laïcité de l’État, légiférerait en fait sur le type même d’ingérence gouvernementale dans le domaine de la religion à laquelle vous prétendez vous opposer.

En tant que Chrétiens, nous croyons que la terre et ses créatures ont une relation durable avec leur Créateur. Chercher à participer et à exprimer cette relation sous une forme ou une autre fait partie de l’être humain. Pour certains, cela signifie porter des symboles ou des vêtements religieux, tels un hijab, une kippa ou une croix, objets qui peuvent être intrinsèques à la pratique de la foi et qui ne peuvent pas être enlevés et remis selon l’occasion.

Nous adhérons également à la vision du Québec en tant qu’état laïc pluraliste ne privilégiant aucune religion particulière, tout en créant l’espace dans lequel les Québécois et les Québécoises de toutes traditions religieuses (ou aucune), peuvent participer pleinement à la vie publique et contribuer au bien commun, y compris comme fonctionnaires.

Nous apprécions votre récent appel pour que le débat autour de ce projet de loi soit mené de manière respectueuse et sans division. Cependant, nous savons trop bien que des projets de loi tels que le projet de loi 21 risquent de contribuer à un climat de suspicion et de crainte d’autrui, notamment des Québécois et Québécoises de tradition musulmane, à un moment où nous avons besoin que notre gouvernement aide à protéger nos prochains plutôt que de les cibler davantage inutilement. L’horrible assassinat de masse perpétré à la Grande Mosquée de Québec en 2017 nous invite à nous questionner sur la façon dont nos débats pourraient attiser la peur et mettre en danger la vie des gens.

Nous sommes d’accord avec vous, monsieur le premier ministre, qu’il est temps que la société québécoise avance dans ce dossier. Cependant, notre propre expérience nous a appris qu’il existe un autre moyen de le faire.

L’un des principes de dialogue de notre église avec les personnes d’autres religions est de « rencontrer les gens eux-mêmes et de connaître leurs traditions ». Cela reflète aussi le gros bon sens et nous a aidés à modifier des attitudes, à remettre en question les stéréotypes et à nouer de nouvelles relations avec ces personnes.

Nous avons été enrichis et bénis, et non appauvris ou menacés, par des échanges face à face avec ces prochains devenus amis. Ce n’est qu’en exposant nos différences honnêtement et ouvertement, au lieu de les cacher ou de les supprimer, que nous pouvons espérer construire un Québec véritablement laïc et pluraliste qui offrira à tous ses citoyens la possibilité de s’épanouir.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.
La très révérende Mary Irwin-Gibson
Évêque de Montréal          
Le très révérend Bruce Myers
Évêque de Québec
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