Depuis
que j’ai été appelé à servir en tant que votre évêque ( il y aura quatre ans la
semaine prochaine!) la prière ci-dessous est devenue en quelque sorte mon
« mantra »:
Ô
Dieu, tu as appelé tes serviteurs dans des périples dont nous ne voyons pas la
fin, par des sentiers encore inexplorés, aux périls inconnus. Donne-nous la foi
d’y aller vaillamment, sans savoir où nous allons, mais sachant que ta main
nous guide et que ton amour nous soutient, par Jésus Christ notre Seigneur.
Amen.
L’une
des raisons pour lesquelles j’aime cette prière est qu’elle est réaliste mais
réconfortante, honnête mais pleine d’espoir. Elle ne nie pas les dures vérités,
mais elle ne succombe pas non plus au pessimisme stérile. Elle a été écrite
pendant la première partie du XXème siècle par un prêtre de l'Église
d'Angleterre, Eric Milner-White, qui fut notamment un des fondateurs de la
communauté religieuse à laquelle j'appartiens, l'Oratoire du Bon Pasteur. Comme
beaucoup de bonnes prières qui viennent d'une autre époque et d'un autre
endroit, elle semble avoir été écrite sur mesure pour nous, ici et maintenant.
Cette
prière commence par reconnaître que nous avons été appelés « à des
périples dont nous ne voyons pas la fin ». Cependant, vous avez peut-être
lu récemment des statistiques qui portent à croire que nous pouvons
effectivement entrevoir la fin de l’entreprise qu’est l’Église anglicane du
Canada. Des données récentes révèlent que notre confession nationale a perdu
50 % de ses membres au cours des 25 dernières années. Si cette tendance se
maintient, il est prévu qu’il n’y aura plus d’anglicans au Canada en 2040.
Je
ne sais pas où vous serez dans 20 ans, mais — si Dieu le veut bien — je serai
toujours dans les parages et je serai toujours un anglican; il en restera donc au
moins un! Je soupçonne qu'il y en aura d'autres aussi. En fait, une réplique
faite récemment à cette projection statistique a été la déclaration publique
d’un certain nombre de jeunes anglicans canadiens : « Je ne m’en vais
pas! » (« I’m not going anywhere! »).
Et comme l'un de mes collègues évêques l'a si bien écrit la semaine dernière à
propos de ces tristes statistiques, « L'église chrétienne a toujours été à
une génération de l'extinction; notre situation n'est donc pas
exceptionnelle. »
La
diminution de notre envergure en tant qu’église ne surprendra personne dans
cette assemblée. Nous la constatons déjà chaque dimanche lorsque nous nous
réunissons en congrégations dans ce vaste diocèse ou lorsque nous passons
devant des églises désacralisées ayant jadis abrité des communautés anglicanes
florissantes. En fait, nos rangs sont en baisse constante depuis le début des
années soixante. C’est à cette époque que l’appartenance à l’Église anglicane
du Canada et à un certain nombre d’autres confessions chrétiennes de ce pays a
atteint son apogée - il y a près de 60 ans.
Le
diocèse de Québec ressent plus fortement les effets de cette décroissance car
nous sommes une église historiquement anglophone située sur un territoire
majoritairement francophone (et historiquement catholique), souvent au sein de
communautés plus âgées du point de vue démographique, et nous nous trouvons
dans une région du monde qui a connu et connaît encore un détachement généralisé particulièrement
intense des pratiques religieuses de toutes sortes. Nous sommes donc peu
nombreux et nous allons probablement le devenir encore plus. Mais nous savons
que nous ne sommes pas seuls et, en tout cas, que ce n’est pas la fin de notre
histoire.
Une
des premières choses que j’ai faites en installant mon bureau à Church House il
y a quelques années a été d’afficher au mur une grande carte du diocèse de
Québec, qui a une superficie de 720 000 kilomètres carrés. Et sur cette
carte, j’ai placé une petite épingle de couleur pour chacune des congrégations
du diocèse - toutes les 68.
Après
avoir mis les dernières épingles, j'ai pris du recul et j'ai regardé la carte
avec un mélange d'étonnement et de panique: étonnement de constater comment le
christianisme anglican s'était répandu pendant plus de deux siècles dans un
territoire aussi vaste et aussi varié, et panique en me demandant comment
est-ce que j'allais bien pouvoir aider ces communautés dispersées, toutes de
taille plus que modeste. Nos propres statistiques nous disent que seulement un
peu plus de 3 000 anglicans appartiennent à l’une des congrégations de
notre diocèse et qu’environ 800 d’entre nous vont à l’église le dimanche.
L'autre
chose que j'ai constatée en regardant la carte, c'est que la couleur que
j'avais inconsciemment choisie pour les épingles marquant les congrégations
était le jaune, et j'ai tout de suite pensé que ça ressemblait à un essaim de
graines de moutarde dispersées.
Dans
les évangiles, Jésus appelle les graines de moutarde , le sénevé, « la
plus petite de toutes les semences ». Mais il dit aussi qu'une fois
semées, elles ont le potentiel de devenir quelque chose de grand et de bon. Et
une foi de la taille d'une graine de moutarde, dit Jésus, peut déplacer des montagnes.
Et
j'ai rencontré plusieurs excellents exemples de cette affirmation au cours de
mes voyages à travers l’ensemble de notre diocèse au cours des dernières années
: des communautés petites mais croyantes, des efforts modestes mais dévoués que
chacun et chacune à sa manière ont offerts et qui ont été bénis par Dieu, et
qui révèlent une partie du royaume de Dieu ici parmi nous. Comme l'a récemment
déclaré un autre confrère: « L'église ne laisse pas sa faible
fréquentation l'empêcher d'être un phare pour la communauté et un lieu vers
lequel les gens se tourneront pour obtenir soutien et encouragement ».
Je
ne vais pas donner d’exemples précis maintenant, car au cours des deux
prochains jours, nous entendrons le récit de quelques épisodes de soutien et
d’encouragement vécus par des membres de notre famille diocésaine. Nous
entendrons également un certain nombre d'invités spéciaux parler de certains de
ces grains de sénevé qu'ils ont rencontrés dans les secteurs de l'église où
qu'ils œuvrent.
Nous
voulons bien sûr que nos grains de sénevé se développent, mais la croissance,
ce n'est pas seulement l'augmentation de l'assistance. Dans un passage de
l'évangile de Luc, les disciples supplient Jésus, « d'augmenter notre foi! ». Ils ne lui
demandent pas: « Augmente l'assistance! » Ou « Augmente nos
dividendes! » - aussi bénéfiques qu'auraient pu être ces souhaits. Parce
que de meilleurs chiffres, qu’ils figurent dans la colonne
« Communiants » de nos livres de sacristie ou du côté
« positif » de nos bilans paroissiaux, n’ont vraiment de sens que si
nous sommes également en croissance dans nos vies de disciples chrétiens.
C’est
là quelque chose d’autre que j’ai régulièrement rencontré lors de mes visites
auprès des anglicans de notre diocèse: un désir exprimé par plusieurs, à peu
près partout, de mieux comprendre la foi chrétienne qu’ils professent, de
croître spirituellement et de témoigner concrètement de leur foi en
Jésus-Christ, tant individuellement comme chrétiens qu'en tant que
congrégations.
En
tant que chrétiens, nous affirmons être un peuple qui, bien que vivant dans le
monde, « n'appartient pas au monde ». Comme nous nous le rappellerons
dimanche, fête du Christ-Roi, notre allégeance première n'est pas envers une
couronne, un pays, une tribu, un parti politique, la famille ou même l'église.
Notre loyauté primordiale est envers Dieu tel que révélé en Jésus-Christ et
envers le royaume céleste que son incarnation a instauré et que nous, ses
disciples d'aujourd'hui, avons la mission de révéler sur la terre.
Afin
de réaliser cette proposition, cette mission, radicales et à contre-culture,
nous devons nécessairement nous comporter différemment de la culture dominante
- « le monde » - que nous habitons. Et l’un des rôles de l’église est
justement d'aider les chrétiens à faire cela, ainsi que le dit le théologien
Stanley Hauerwas en décrivant l'église comme une institution « appelant
les gens à être une alternative au monde », afin que nous puissions
devenir « un peuple différent avec des habitudes et des pratiques
différentes de celles du monde. »
Ce
qui est censé nous distinguer en tant que disciples de Jésus-Christ, ce ne sont
pas nos édifices, nos rituels ou même nos doctrines. Ce qui est censé nous
distinguer en tant que disciples de Jésus-Christ, c’est que nous faisons les
choses différemment, selon une éthique différente: que ce soit la façon dont
nous traitons les gens, notre manière de prendre des décisions, de gérer notre
argent, de respecter l’environnement. Comme l’a dit Hauerwas, « l’église
n’a pas pour objectif premier de favoriser une plus grande fréquentation; il
s’agit d’être un peuple vivant dans un environnement hostile capable de
soutenir le témoignage de Jésus de Nazareth, qui nous a proposé un mode de vie
que nous savons être exaltant. »
C'est
pourquoi le premier terme utilisé dans le Nouveau Testament pour décrire les
chrétiens est celui de « d'adeptes de la Voie ». Parce que, ainsi que
le disait un moine anglican, le frère Geoffrey Tristram, « le
christianisme n'a jamais été un corps de doctrine statique, mais plutôt un mode
de vie dynamique. » C’est là que se trouve la signification du développement
de notre discipline chrétienne: s'outiller pour vivre et annoncer plus
efficacement l’Évangile de Jésus-Christ dans notre vie quotidienne et pour
servir d’ambassadeurs et d'ambassadrices du Christ partout, en tout temps avec
auprès de tout le monde.
Pour
notre église diocésaine, la tâche de former et d’équiper les disciples est,
selon les mots de ma prière inaugurale, l’un de ces « sentiers encore
inexplorés » - ou du moins c’est un sentier qui n’a pas été foulé beaucoup
depuis quelque temps. Au fil des ans, nous avons collectivement consacré une
grande partie de notre temps et de notre énergie à la gestion de la
décroissance. Et même si nous devons continuer à être de bons intendants des
bâtiments, des cimetières et des investissements qui nous ont été confiés - et
à aider les congrégations qui souhaitent rester ouvertes et actives à le faire
aussi longtemps qu'elles le pourront - nous devons également nous rappeler que
survivre comme nous le faisons maintenant ne suffit pas. Dieu nous appelle à faire
beaucoup plus. Nous devons nous rappeler que la tâche principale de l’église
consiste à former et à équiper les disciples de Jésus-Christ pour qu’ils et
elles contribuent au travail rédempteur de Dieu dans le monde.
Et
c’est un moment opportun pour nous en souvenir, car non seulement comptons nous
déjà plusieurs personnes au sein de notre diocèse qui désirent être mieux
équipées en tant que disciples de Jésus, mais les moyens de contribuer à les
outiller sont à portée de main. Nous comptons déjà de formidables enseignants
de la foi parmi les membres de notre clergé et de notre laïcat. Nous sommes en
train de développer de nouveaux partenariats avec des centres de formation
chrétienne ici au Québec et ailleurs. Même la technologie de communication requise
(comme l’accès Internet haute vitesse) est maintenant disponible pour presque
tous les anglicans du diocèse, quel que soit leur lieu de résidence. Nous avons
déjà tout ce dont nous avons besoin pour que nos grains de sénevé se
développent.
Une
partie de ce travail d'apostolat est déjà amorcée et mon souhait est ce travail
ira grandissant dans les années à venir. Ce faisant, il est possible que nous
constations que le fait d’être soucieux de notre croissance spirituelle peut
également avoir un impact positif sur la croissance de la fréquentation, car de
nouveaux fidèles pourraient être attirés par notre amour pour les uns et pour
les autres, qui se veut refléter celui du Christ, et pour le monde qui nous
entoure, car ce sont là les fruits de l'apostolat chrétien.
Notre
rassemblement des prochains jours est, lui aussi, un autre sentier
« encore inexploré ». Notre synode diocésain s'est réuni pour la
dernière fois en 2015, date à laquelle il a été décidé d'apporter des
modifications importantes à sa taille et à sa composition. Ce Synode regroupe
donc environ moitié moins de personnes que le dernier; la représentation des
laïcs est basée sur les doyennés et les régions, plutôt que sur les
congrégations; et un nombre restreint des membres du clergé diocésain (10 au
total) sont membres du Synode, plutôt que la totalité des membres actifs. Il
s'agit, pour nous tous, d'une nouvelle façon de nous rencontrer. Nous
solliciterons votre avis sur ce qui, selon vous, fonctionne bien - et ce qui
fonctionne moins bien - et sur ce qui pourrait nécessiter des changements dans
le futur.
Ce
Synode est également un peu différent en ce qu’il est relativement peu chargé
sur le plan de la législation. Les canons et la constitution sont importants
pour baliser notre vie commune en tant qu'église diocésaine, mais il en va de
même pour la prière, l'étude de la Bible, la fraternité, ainsi que pour
l'encouragement et la croissance mutuels -
j'espère que c'est ainsi que nous profiterons du temps que nous
passerons ensemble dans ce lieu: un espace consacré depuis quatre siècles à la
prière, à l'étude de la Bible et à la fraternité chrétienne.
Il
y quatre ans, dans le processus du choix
d’un nouvel évêque pour ce diocèse, les candidats avaient à décrire le type de
leadership que nous avions l'intention d'apporter au diocèse (dans un maximum
de 500 mots!). J'ai alors écrit (en partie) ce qui suit: « Je chercherais
à offrir un leadership principalement défini par l'espoir. Notre église
traverse des temps difficiles et, au milieu de ces difficultés, il est facile
de succomber à ce que le pape François appelle « le pessimisme
stérile » ou « le mauvais esprit du défaitisme ». Pourtant, en
tant que chrétiens, nous sommes appelés à être un peuple d'espoir - l'espoir
« sûr et certain », avéré et indubitable, de la résurrection du
Christ et de la rédemption de toutes les choses, incluant l'église. »
Au
cours des quatre années écoulées depuis que j’ai écrit ces mots, j’avoue que le
pessimisme et le défaitisme contre lesquels le pape François nous a mis en
garde ont parfois été de réelles tentations, mais ces moments ont toujours été
fugaces. Ils ont toujours cédé la place à l’espoir.
Et
j’ai vu de mes yeux de nombreux signes d’espoir au cours de ces premières
années de service en tant que votre évêque, non seulement dans des projets et
des initiatives, mais également parmi nos gens:
- au
sein des membres fidèles et dévoués du clergé de ce diocèse;
- au
sein du personnel et des officiers diligents et engagés du Synode;
- parmi
les leaders laïcs de ce diocèse, qu’ils et elles œuvrent en tant que lecteurs,
marguilliers, secrétaires, trésoriers, membres du Synode, membres des conseils
exécutif ou de doyenné, musiciens, servants de messe, animateurs de l’école du
dimanche ou de groupes de jeunes, dans les ligues féminines ou de maintien de
matériel d'autel;
- chez
les personnes dévouées qui n’occupent aucune charge ou fonction particulière,
mais qui forment la colonne vertébrale fidèle, semaine après semaine,
représentant le corps du Christ dans ce diocèse.
Vous
êtes non seulement des témoignages vivants d'espoir, mais je vous dois aussi
mes sincères remerciements pour tout ce que vous faites, et c'est un privilège
que de vous servir et de servir avec vous.
Il
semble opportun, dans ce lieu sacré particulier où nous sommes réunis ce soir,
de citer une fois de plus l'évêque de Rome, car le pape François passe beaucoup
de temps à parler d'espoir. L'espoir chrétien, dit-il, « n'a pas peur de
voir la réalité telle qu'elle est et d'en accepter les contradictions. [...]
Cet espoir nous invite à entrer dans les ténèbres d’un avenir incertain et à
nous diriger vers la lumière. » L’espoir chrétien n’est pas un vague
souhait optimiste que les choses se passent bien. « L’espérance
chrétienne, dit le pape François, est l’attente d'une chose qui a déjà été
réalisée ».
Ce
qui a été réalisé, c’est la victoire du Christ sur les puissances du mal - y
compris même la mort - à travers la vie, la mort, la résurrection et
l’ascension de Jésus. Ce qui a été réalisé est la promesse du Christ que même
les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre son église. Cela n’est-il pas
libérateur? Nous nous soucions bien sûr de l’avenir de l’Église, mais nous
n’avons pas à nous sentir coupables ou inquiets pour son avenir, car dans le
Christ, l’avenir de l’Église - en fait, l’avenir de toute la création - a déjà
été assuré de manière ultime.
Cela
nous permet de nous libérer afin de canaliser notre énergie et nos ressources à
tenter de rester fidèles à la mission de l’église, qui aide à rendre tangible
l’avenir de Dieu. Que l’église que nous connaissons survive encore 20 ans ou 20
siècles importe peu, car notre espoir chrétien et notre appel chrétien ne
changeront pas.
Ensemble,
nous avons été appelés à un « périple (venture)
dont nous ne voyons pas la fin ». Une définition du terme anglais « venture » dans le dictionnaire est
« un voyage, ou une entreprise, risqué ou audacieux ». Ainsi, plutôt
que d'être prudents, quels risques pouvons-nous prendre pour l'amour du Christ?
Plutôt que de nous épuiser en essayant de perpétuer une manière d’être l’église
qui ne correspond plus à notre réalité, quels nouveaux et audacieux voyages
pouvons-nous entreprendre pour le bien du monde?
Si
vous ajoutez deux lettres à « venture » (périple), vous obtenez
« adventure » (aventure) et
c’est ainsi que le christianisme a parfois été décrit: comme une aventure. Une
aventure se définit comme « une expérience ou une activité inhabituelle et
excitante, généralement hasardeuse ». Quelle expérience ou activité pourrait
être plus inhabituelle, excitante ou potentiellement hasardeuse que de
développer et d'équiper des disciples de Jésus-Christ pour qu'ils et elles
soient ses témoins, qu'ils et elles représentent la Bonne Nouvelle , révèlent
le royaume de paix, de justice et de réconciliation de Dieu aux quatre coins du
diocèse où nous sommes toujours présents?
Il
ne m’est pas possible d’entrevoir la fin du périple (venture) ou de l’aventure (adventure)
auquel Dieu nous appelle. Je ne connais pas le chemin que nous devrons
emprunter ni comment nous allons faire face à de nombreux périls encore
inconnus. Mais j’ai la foi - une foi si forte que même si je ne sais pas, je
n’ai pas besoin de savoir, car il y a quelqu'un dont la main nous guide et dont
l’amour nous soutient, alors que nous voyageons ensemble à travers l’inconnu
remplis d'un espoir « sûr et certain », avéré et indubitable.